La chinoise et l'Everest

La verité , c est que je l'ai revue ... J'ai beau eu jouer les fanfarons , me persuader que tout continuait comme si de rien n était , prétendre que son absence n'en etait pas une , que je saurais me passer d'elle sans que les regrets ne me cisaillent le ventre . j ai perdu , vieux frère ...Dés qu'elle a recommencé à se confier , j'ai senti ma resistance fondre , les barrières revoler et ce salaud d'espoir s'engouffrer dans la brêche . J'étais pourtant bien prévenu et je me faisais peur ( c'est de moi d'ailleurs dont j'ai le plus peur ; les autres m'indifferent ou me touchent mais ne m'effraient pas ) . Je savais bien dans le fond être reste le même qu'a vingt ans , ce même mordant de la tenaille , cette même fragilite insouciante de l'enfance . Que veux-tu , on ne se refait pas ... Je serai toujours piètre gestionnaire des mes élans et accepte de vivre avec . Tu sais, quand on s'est retrouvés dans ce bar enfumé au milieu des ces corps moites de desir et d'exuberance , dans ce bar où nous sommes si souvent partis en campagne , refaire ce vieux monde perclus d hypocrisie et de haine ,j ai pense tres fort a toi ... J'ai cru , l'espace d'un moment, sentir ta main venir me frôler l epaule et pour chasser la nostalgie , j'ai repris un verre ... J'étais heureux de la voir danser , de voir pour un temps s'estomper la grisaille des souvenirs sournois . Elle avait de nouveau seize ans , une générosité d'elle même candide , sans fard ni trompette , aérienne de douceur , elle m'incendiait plus sûrement que ne l'aurait faite une armée de pyromanes . Ensuite , on s'est barrés , ivres de complicité retrouvée pour continuer en marchant d un pas chaloupé notre valse des retrouvailles. On a croisé sur notre route de drôles de zigues , de ceux qui portent sur leur visage , cette empreinte indélébile des couillons qui se sont laissés avoir , le savent et acceptent d'en payer le prix .Oh , Johnny , elle était simple , sereine et moi , je me sentais comme devant ma premiere boite de crayons de couleur . Ne viens pas me reprocher mon coeur de jeune fille , salaud , c'est le bien le plus precieux qui me reste même si c'est celui qui me brise le coeur; le plus souvent... Tu vois , je n ai pas renoncé à le sentir se serrer ou defaillir de joie alors , que m'importent les mises en garde , les coups du sort , la déception ... Je n'ai pas voulu lui en parler, rompre le sortilège ; je nous voulais brises légères d'un juillet écrasant de chaleur . Des fois , par crainte du ridicule , mes mots se figent dans la gorge , ma voix se fait alors inaudible et je sens un poison d'orphelin se glisser dans mes veines . Crois-moi , j'aurais tant voulu lui dire que pour moi, peu importaient sa tenue , son maquillage : son charme restait et resterait une trouée lumineuse , ses mots aussi et surtout , surtout ce regard que je sens parfois se poser sur moi comme si elle se trouvait sur le point se se laisser aller alors qu'elle est peut-etre en train de me scanner avec une précision toute chirurgicale . C est decidé , Jo , je garderai mon coeur comme ces chinoises des temps anciens , leurs pieds , à l'étroit dans un chausson pour ne pas le sentir grandir . Je respecterais, meme s'il m'en coute, sa chasteté ,le temps qu il faudra , confiant qu'elle m'enverra tot ou tard un signe , un vrai , m'indiquant que je suis dans le bon chemin ...Et si la porte venait à se refermer , je ne lui en tiendrais pas grief -elle n a rien promis - et je n aurais qu'a m'en prendre à moi-même d'avoir une fois de plus rêvé à l'impossible . Elle n est pas dupe dans le fond , même si en sabbatique qu'on ne peut proscrire l'amour qui reste à ce jour , le seul sentiment non périssable dans cet océan de mensonges , de folie .
Allez , Johnny , vide ton verre et promets-moi , que si malgré tout , elle ne veut toujours pas de moi , nous repartirons vers ces neiges éternelles , pleurer comme des gamins devant cette foutue beaute immanquable , insoutenable d'un lever de soleil sur l Everest ...